Les mécanismes psychologiques à l’origine de cette malédiction
« La trajectoire scolaire et professionnelle des hauts potentiels les a souvent conduits à développer des capacités de suradaptation, un « faux-self », selon la théorie de Winnicott », soulignait déjà Maryse Dubouloy, professeur associée au Département Management de l’ESSEC², dans un article datant de 2006. « Le faux-self est un mécanisme de défense que certains individus érigent pour se protéger contre un environnement qu’ils sentent menaçant s’ils dévient de ce qu’ils pensent que l’on attend d’eux. Il se fonde sur la soumission et la dépendance à un environnement non maîtrisable, au-delà de ce qui est nécessaire pour une bonne socialisation », précise-t-elle.
Habituées depuis l’enfance à enfouir leurs propres talents et leurs désirs profonds pour faire plaisir à leur entourage, les personnes dites « à haut potentiel » sont les victimes idéales de deux mécanismes psychologiques dont la combinaison se révèle explosive : l’idéalisation et l’identification. D’un côté les autres employés les idéalisent et comptent sur eux pour servir de rempart contre l’incertitude liée au devenir de l’entreprise, et d’un autre côté, les hauts potentiels eux-mêmes finissent par s’identifier à cette image, se mettant à porter sur leurs épaules le poids de cette incertitude (ce qui concourt au développement de sentiments d’omnipotence aussitôt contrebalancés par des sentiments d’impuissance). « Un jour on me dit que les gens comme moi ont pour mission de révolutionner la façon de faire des affaires, et le lendemain, on m’explique que les dirigeants dont je dois justement transformer la manière de travailler doivent m’apprécier », confie Lars, jeune manager star d’une grande manufacture. Ce paradoxe est une des causes de la malédiction. Le fait qu’ils soient extrêmement sensibles à la culture de l’entreprise et qu’ils en saisissent parfaitement les rouages rend les employés à haut potentiel particulièrement vulnérables.
⇒ La vision Skillspotting : La perception qu’ils ont de leur talent change et bascule dans un cercle vicieux : chaque opportunité devient une obligation, chaque challenge, un test.
Modèle du triangle
(cf notre article sur les croyances limitantes)
Alors que leur talent les définit peu à peu, ils sentent que leur futur est lui aussi en jeu, et ils se mettent à se concentrer uniquement sur ce qui est susceptible d’assurer leur place dans l’entreprise. Pour ceux qui se distinguaient dans un premier temps par leurs qualités particulières, « futurs leaders » se met à rimer avec « excellents suiveurs », ce qui finit par saper leur énergie et décourager leur ambition.
TO BE CONTINUED…
→ Dans notre épisode suivant, vous découvrirez les trois signes qui doivent vous alerter…
Notes
¹INSEAD : Institut européen d’administration des affaires, école privée de management ayant trois campus principaux à Fontainebleau, Singapour et Abu Dhabi, et membre de Sorbonne Universités. Son MBA a été classé n°1 mondial en 2016 par le Financial Times.
²ESSEC : Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales, Cergy-Pontoise.
Sources :
– Jennifer Petriglieri / Gianpiero Petriglieri, The Talent Curse, Harvard Business Review, May-June 2017
– Savannah Horton, The Talent Curse : when your « future leader » label gets in the way of good work, Bowdoin Dayly Sun, April 20, 2017 : http://dailysun.bowdoin.edu/2017/04/the-talent-curse-when-your-future-leader-label-gets-in-the-way-of-good-work-harvard-business-review/
– Maryse Dubouloy, Les « hauts potentiels » et le « faux-self », in Le Journal des psychologues 2006/3 (n°236), p.22-26 : http://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2006-3-page-22.htm